Ces dernières semaines, l’actualité cyber a de nouveau mis en lumière un angle mort majeur des stratégies de sécurité : la dépendance aux fournisseurs numériques.
L’attaque qui a paralysé temporairement les systèmes d’enregistrement de l’aéroport de Bruxelles a révélé à quel point les chaînes d’approvisionnement IT — incluant prestataires, éditeurs, hébergeurs ou intégrateurs — peuvent devenir la porte d’entrée d’incidents à fort impact.
Dans le même temps, le CERT-FR a alerté sur de multiples vulnérabilités critiques dans des solutions largement déployées comme Cisco ASA/FTD, OpenSSH, Zabbix ou QNAP, confirmant que même les briques les plus fiables de nos infrastructures peuvent être compromises via un maillon tiers.
Dans ce contexte, la directive européenne NIS 2, en cours de transposition en France, apparaît comme un levier de résilience essentiel pour renforcer la sécurité des chaînes numériques interconnectées.
Une attaque qui frappe là où on s’y attend le moins
Les attaques par la chaîne d’approvisionnement (« supply chain attacks ») consistent à compromettre un fournisseur de confiance pour atteindre indirectement ses clients.
Ce mode opératoire séduit les cybercriminels car il maximise l’impact tout en minimisant les efforts : une seule brèche peut ouvrir des centaines de portes.
Les entreprises confient souvent à leurs prestataires un accès étendu à leurs systèmes — supervision, mises à jour, maintenance ou hébergement — sans disposer d’une visibilité suffisante sur leurs pratiques internes. Cette confiance implicite, combinée à des chaînes de sous-traitance complexes et mondialisées, crée un terrain fertile pour les attaques à effet domino.
Les exemples récents sont parlants :
- L’aéroport de Bruxelles, touché via un fournisseur d’infrastructure numérique.
- SolarWinds (2020), où une simple mise à jour logicielle a permis à des attaquants d’infiltrer plus de 18 000 organisations dans le monde.
- MOVEit (2023), où une faille dans un outil de transfert de fichiers a entraîné des fuites massives de données sensibles.
Un risque systémique désormais reconnu
La multiplication de ces attaques démontre que la cybersécurité ne se limite plus à la protection du périmètre interne.
Elle devient un enjeu écosystémique.
En France, le CESIN (Club des Experts de la Sécurité de l’Information et du Numérique) alerte depuis plusieurs années sur ce risque systémique : une faille chez un prestataire stratégique (hébergeur, éditeur, ESN, fournisseur cloud) peut paralyser des pans entiers de l’économie.
Les vulnérabilités récentes publiées par le CERT-FR dans des outils tels que Cisco ASA/FTD, Zabbix ou QNAP rappellent que ces solutions, pourtant réputées robustes, peuvent être exploitées par des attaquants pour rebondir entre environnements clients.
C’est dans ce contexte que la directive NIS 2 impose aux organisations essentielles et importantes une responsabilité partagée : elles doivent désormais s’assurer que leurs fournisseurs appliquent un niveau de sécurité équivalent à celui qu’elles exigent pour elles-mêmes.
Les conséquences pour les entreprises
Les impacts d’une compromission via un fournisseur sont multiples :
- Opérationnels : arrêt de production, interruption de service, paralysie des systèmes critiques.
- Financiers : pertes d’exploitation, coûts d’investigation et de remédiation, amendes réglementaires.
- Réputationnels : perte de confiance des clients et partenaires.
- Réglementaires : sanctions en cas de non-conformité aux exigences NIS 2 ou RGPD.
Ce type d’attaque remet en cause la confiance numérique, pourtant indispensable à toute relation commerciale dans un écosystème interconnecté.
Les bonnes pratiques pour se protéger
Pour renforcer la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, il ne s’agit pas de rompre la confiance, mais de la structurer et la surveiller.
Voici les leviers concrets à mettre en place :
- Évaluer les fournisseurs avant signature : intégration d’un questionnaire de cybersécurité (maturité ISO 27001, politique de sauvegarde, chiffrement, SOC, etc.).
- Clauses contractuelles de sécurité : exigences de conformité, délais de notification en cas d’incident, audits périodiques.
- Visibilité et traçabilité : inventorier tous les prestataires ayant accès au SI, cartographier les interconnexions, surveiller les comptes de service.
- Principe du moindre privilège : limiter les accès techniques et segmenter les flux réseau entre environnements internes et fournisseurs.
- Supervision continue : activer la journalisation (logs), le SIEM, les alertes comportementales et des solutions EDR/XDR.
- Tests de pénétration et red teaming étendus : inclure les prestataires critiques dans le périmètre d’audit.
- Plan de continuité et de reprise (PCA/PRA) : prévoir des procédures alternatives si un fournisseur stratégique est indisponible.
Ces mesures doivent être portées par une gouvernance claire, incluant un RSSI ou un responsable cybersécurité fournisseurs, garant du suivi et de la cohérence des exigences tout au long du cycle de vie des contrats.
Conclusion
Les attaques via la chaîne d’approvisionnement marquent une nouvelle étape dans la sophistication des menaces : elles exploitent la confiance elle-même.
Dans un monde où la collaboration et l’externalisation sont devenues la norme, il est illusoire de penser que la sécurité peut être isolée.
La directive NIS 2 rappelle que la résilience ne s’obtient plus en renforçant seulement ses murs, mais en consolidant tout le quartier.
Les entreprises doivent donc adopter une culture de la cybersécurité partagée, où chaque partenaire, chaque éditeur et chaque fournisseur devient un acteur actif de la défense numérique collective.